18 janvier 2009

Incube

- Où allons-nous, interrogea le prince franc ?
- Dans un petit village, à une vingtaine de kilomètres, on dit qu'une femme est possédée. Je vais vérifier si cela est vrai, et si c'est le cas, je procèderais à l'exorcisme.
- Comment ?
- Secret, dit le prêtre ironiquement.
- Vous préférez conserver le secret que d'apprendre aux gens à se défendre, s'étonna Dagobert.
- C'est un secret, mais je n'ai jamais dit en être le détenteur. Ce pouvoir est en moi, et se libère à force de prières. C'est pourquoi je pense que Dieu m'a fait ce don. Quant à savoir pourquoi moi, et pas un autre, et bien, cela concerne seulement celui qui a fait ce don ?
- Bien. Secret extrêmement bien gardé, car personne sur cette terre n'en possède la solution, fit judicieusement remarquer le prince.
- Certes. Mais ce qui me concerne, enfin nous concerne vu que nous faisons équipe, c'est ce que je peux faire de ce pouvoir.
Cette phrase interrompit une fois pour toute cette étrange conversation. Dagobert était curieux, avide de savoir même, mais il savait à quels moments il ne fallait pas insister, ni fureter. Et il vivait justement un de ces moments. Il en profita alors pour changer de sujet de conversation. L'homme connaissait bien les alentours, et même bon nombres de villes éloignées. Dagobert ne connaissait que les hautes strates de celles-ci, il en profita donc pour interroger son compagnon de fortune sur l'état du royaume.
Sans aucun préjugé, il s'intéressait aux moindres facettes de son royaume, du paysans le plus banal, au chevalier le plus puissant. Il apprit les craintes des populations, qui se résumaient en deux principaux points : leurs besoins naturels, la peur de ne plus pouvoir y subvenir, et les créatures magiques. S'ils acceptaient sans broncher les peuples elfiques, indifférents des affaires humaines, ils redoutaient toutes les bêtes aux instincts de destruction : dragons, lycanthropes, vampires, et bien d'autres. Mais dans la magie, ce qui les effrayait le plus, ce n'était pas les pures créatures purement féeriques, mais bel et bien ceux qui chevauchaient entre les deux mondes. Ceux qui se tenaient entre les humains et la magie, les sorciers et sorcières.
Mis paradoxalement, c'était également ceux qu'ils acceptaient le mieux, du moment que ceux-ci mettaient leur don au service du peuple. Une tâche bien ingrate, songea Dagobert, en pensant qu'un malheur pouvait transformer d'un seul coup des années d'aide et de dévouement en néant, ne laissant à l'homme que la malédiction de ses pouvoirs innés.
Et, continuant à discuter du sort du royaume, il arrivèrent en vue du village. Toute la population attendait dehors, et personne ne fit attention au jeune prince. Peu de personne connaissait le visage du prince, et il ne portait pas ses armoiries. A peine le chef du village eut-il présenté ses salutations à l'homme d'église que les pleurs des proches de la malheureuse victime résonnèrent, implorant l'aide du prêtre.
Celui-ci semblait par ailleurs totalement habitué à ce manège, et sans se départir de son sang-froid, il se fit conduire auprès de l'intéressée. Elle avait été placée dans un petit cabanon miteux, à l'égard du village. Pour toute réaction, l'homme soupira.
- Qu'y a-t-il, demanda Dagobert ?
- Penses-tu qu'il y est une réelle différence entre placer la possédée dans une maison du village, ou ici, à l'égard du village ?
- Non, répondit Dagobert. Mais les démons...
- Penses-tu que la mettre ici protégerait le village si le démon voulait l'attaquer ? Bien sûr que non. Quelle différence peut faire une dizaine de mètres. Mais les superstitions sont fortes. Si je n'étais pas venu si vite, ils auraient sûrement laissé mourir ici cette femme, sans rien faire.
- Ils ont peur, répondit Dagobert.
- Et parce qu'il a peur, penses-tu que l'homme ait le droit de se comporter comme un animal ?
- Non, répondit simplement le prince, remarquant qu'il avait été piégé.
Lui aussi avait été indigné, en voyant la femme, seule, étendue ainsi. Mais il avait essayé de comprendre le peuple. Et il commença à comprendre les leçons que tentait de lui transmettre son guide. Il était prince, et il ne devrait un jour diriger un peuple. Et il ne devrait jamais autoriser son peuple à se transformer en bête, que ce soit par peur, par colère, ou pour quelques autres raisons possibles. Mais, préférant tout de même changer de sujet, il aborda celui de leur patiente.
- u n'as pas besoin d'intervenir, répondit l'homme. Son mal est causé par un pur esprit. Toute attaque matérielle est impossible. Tu n'as donc pas à t'en faire.
- Peut-être, répondit Dagobert. Mais si un truc peut causer un tel état, répondit-il en montrant la femme, je préférerais quand même pouvoir le toucher pour me défendre.
- Ne t'inquiètes pas! Je m'occupe de l'esprit. Contente-toi d'observer.
L'homme posa sa main droite sur le front de sa patiente, qui commença aussitôt à trembler. Nerveux, Dagobert posa la main sur le pommeau de son épée, pas le moins du monde rassuré par les paroles de son compère. Celui-ci commença d'ailleurs à enlever sa main, tout doucement. Et entre sa main et le front de la femme apparut un brouillard sombre, une sorte de nuage noir.
- Un incube, expliqua le prêtre. Un démon inférieur. Il pénètre l'esprit de sa victime et lui puise son énergie. L'humain touché commence par agir d'une étrange manière, puis il tombe dans un long sommeil, qui peut être le dernier si le mal n'est pas traité à temps.
- Qu'allez-vous faire du...?
Dagobert n'eut pas le temps de finir sa phrase. Une lumière éclatante avait commencé à briller au centre du brouillard, qui commença à se déchirer, pour finir par se dissiper brusquement, dans un cri de désespoir. Puis le calme revint, et la femme ouvrit les yeux. Sans comprendre où elle se trouvait, elle regarda, inquiète, les deux hommes à ses côtés. Le prêtre sourit chaleureusement et montra l'extérieur.
- Allez rassurer vos proches! Ils vous attendent!

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