6 janvier 2009

L'Arène

La lame fendit l'air. Elle décrivit une courbe à une vitesse fulgurante, hallucinante, absurde, trop lente. Elle ne put que frôler la joue de la jeune fille qui avait esquivé d'un mouvement parfaitement maîtrisé. Les cris, tout autour, encourageait avec force le redoutable guerrier. Il avait une fillette en face de lui. Lui, qu'on disait le plus redoutable de tous les guerriers de l'armée du roi Harsa, peinait à affronter celle qu'il ne pouvait considéré que comme une gamine. Avec rage, il redoubla d'effort. Les cris de ses camarades lui confiaient force et courage, mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir le souffle froid du désespoir.
- Tue-la! Tue-la!
Pourquoi donc tous était persuadés de la facilité de cette tâche ? Ne se rendaient-ils compte de rien ?
- Tu y es presque! Elle arrive tout juste à éviter.
Est-ce l'impression que ce combat donnait ? Lui, attaquant sauvagement cette fillette, aux abois, parvenant à peine à éviter. Le rythme de ses attaques, insoutenable pour la plupart des guerriers, lui donnait-il une aura de puissance. Il ne comprenait pas vraiment que ses compagnons soient si aveugle, puis il réalisa. Ce qui l'effrayait. Ce que les siens ne pouvaient pas voir. Les yeux de la jeune fille. Ces yeux qui, à chaque fois qu'ils croisaient les siens semblaient lui dire : 'C'est tout ? Tu ne peux pas aller un peu plus vite ? Je m'attendais à mieux de la part d'un soldat d'élite.'
Comprenant alors qu'il se faisait manipuler depuis le début, la fureur pénétra jusqu'au plus profond de son être, et décupla sa force. Pour la première fois du combat, il eut l'impression de véritablement pousser son adversaire sur la défensive. Son épée s'envolait de droite à gauche, décrivant des dizaines et des dizaines de courbes vengeresse, qui auraient fauchées nombres d'ennemis.
Mais elle était encore debout. Finalement aveuglé par la rage, il tira du fourreau d'un de ses confrères une seconde lame, qui suivit la première dans son travail. Tous en hoquetèrent de surprise. Il était le plus fort, avec une seule épée, mais son véritable talent était bel et bien le maniement des deux armes simultanément. Qui aurait pu survivre ?
- C'est bon! Elle est morte, hurlèrent les siens.
Mais ils avaient tort. Pour la première fois du combat, elle dégaina. Deux dagues, d'une trentaine de centimètres chacune. Ridicules! Minuscules! Dangereusement affilées. Personne ne remarqua le mouvement, mais toujours est-il qu'au moment où les deux lourdes épées allaient finir leur course meurtrière, elles s'interposèrent et dévièrent avec légèreté les attaques.
Un silence pesant s'installa dans l'arène. Quand elle avait dit être bien plus forte qu'eux, ils l'avaient pris comme une blague. Quand elle l'avait répété, comme une insulte. Quand elle les avait défiés, comme une folie. Et maintenant, comme une inéluctable fatalité. Ils comprirent la leçon qu'elle venait de leur donner. Rien n'était acquis. Malgré les apparences du combat, elle avait mené la danse/ Mais la fierté des guerriers en prit un coup, et si un seul des leurs pouvait la vaincre, c'était bien celui qui se trouvait dans l'arène en ce moment. Les cris reprirent de plus belle.
- Tu peux le faire! Vas-y! Elle va fatiguer!
Le guerrier inspira une longue goulée d'air frais. Puis ses épées reprirent leur danse. Précise. Acérée. Mortelle. Mais à chaque attaque, les deux lames de la jeune fille intervenaient et déviaient le coup. Jamais elle ne bloquait. Ses armes fragiles auraient été facilement brisée. Mais elle guidait selon son envie la force de destruction de son adversaire, et n'avait par conséquent aucun problème pour échapper aux crocs aiguisés.
Mais le guerrier était doué, et il comprit petit à petit la façon dont elle s'y prenait. Et il se rappela avoir déjà vu une telle manière de combattre. Un moine, qui venait du nord, utilisait les mêmes mouvements. Au moment où son épée allait toucher la dague, il lui imprima un mouvement de rotation puissant qui fit décoller l'arme des mains de son adversaire. Il n'avait pas pu la blesser, mais elle n'avait plus qu'une seule arme. Elle ne semblait cependant pas le moins du monde embêtée :
- Tu es fort, c'est vrai. Redoutable, pour un humain normal. Mais il est temps de te montrer ... ma vitesse.
- Ton bluff ne fonctionnera pas, répondit-il dans l'instant. Tu es désarmée, et si tu veux abandonner, fais-le maintenant!
- Désolé, mais je vais te vaincre, et m'approcher encore un peu de mon potentiel latent.
Ne prêtant pas attention aux dernières paroles, le guerrier se précipita et envoya de toute sa rage, de toute sa force, et avec toute sa vitesse ses deux lames vers le corps sans protection de la jeune fille. L'attaque lui sembla se dérouler au ralenti. Il voyait chaque millimètre que gagnait ses armes vers la chair de son ennemie, alors qu'elle attendait immobile, le coup fatal. Mais il l'aperçut. Alors que tout se déroulait au ralenti, elle sembla bouger normalement. Et son pied s'éleva. Il ne put éviter.
Il sentit le coup puissant le prendre sous le menton, et le soulever dans les airs. ses mains lâchèrent les armes, et il s'étala, deux mètres plus loin, sonné. il tenta de se relever, mais ses jambes ne voulaient plus obéir. Il ne put que saluer la victoire de la jeune fille, assis au sol.
- Tu avais raison, Lenlen.
Le roi Harsa s'était levé de son trône, et s'était approché des combattants. Il posa sa main sur l'épaule du guerrier endolori.
- C'était un magnifique combat.
- Elle était trop forte, répondit humblement l'homme. Elle appartient au monde du dessus.
- Peut-être, dit le monarque en souriant.
- Alors, les interrompit Lenlen, pressée d'obtenir sa réponse. M'autorisez-vous à rester ?
- Non, dit le roi avec douceur. Je ne peux t'autoriser à combattre avec nous.

Aucun commentaire: